De la stupidité des fumeurs

Comme chaque année elle se rendait à son rendez-vous de contrôle des artères de ses jambes. Elle passait un écho-doppler pour vérifier l’évolution de l’artérite qu’elle avait contractée un peu par hérédité, un peu par la faute à « pas-de-chance » et beaucoup à cause de toutes ces clopes qu’elle avait fumé depuis ses 18 ans.

La salle d’examen était toujours aussi exiguë et glauque, le technicien aussi peu avenant et pourtant elle crevait de savoir ce qu’il voyait puisqu’elle était incapable d’interpréter quoi que ce soit des lignes noires à l’écran.

Elle essaya bien de le faire parler, alternant la sympathie et l’humour mais le technicien s’était contenté de lui répondre qu’elle aurait le compte-rendu intégral par son chirurgien. Le gros problème c’est que son rendez-vous avec le chirurgien en question n’aurait lieu que 3 semaines plus tard.

Quand même, lorsqu’il eu fini de promener sa sonde sur sa jambe gauche il lâcha un « c’est bon » plutôt encourageant et étala le gel froid et visqueux sur sa jambe droite, celle qui contenait déjà un petit ressort métallique destiné à empêcher l’artère de se fermer.

Il régla son ordinateur, ajusta sa sonde et commença les va-et-vient sur sa cuisse. C’était froid pas spécialement douloureux mais depuis son opération elle n’aimait pas qu’on touche à cette jambe, et elle sentait le stress monter au fur et à mesure de l’examen.

Soudain, il arrêta de promener sa sonde, pianota sur son ordinateur pour zoomer sur une image et il annonça d’une voix neutre : « excusez-moi je reviens tout de suite ».

Il sortit de la pièce la laissant à moitié nue sur la table d’examen, encore plus angoissée par ce départ précipitée, imaginant le pire, enfin elle croyait.

Le pire était à venir, il arriva sous la forme de trois personnes masquées, gantées et vêtues des protections jetables de bloc opératoire. L’un deux s’adressa à elle d’une voix ferme :

«  Il y a un gros problème avec votre artère Iliaque, on vous emmène tout de suite au bloc, je suis l’anesthésiste, je suppose que vous n’êtes pas à jeun ? «

A jeun elle l’était presque, nouée depuis deux jours elle n’avait quasiment rien avalé, si ce n’est son sempiternel café ce qu’elle précisa.

«  Tant pis, on doit vous opérer maintenant, nous prendrons nos précautions pour votre estomac, nous allons vous monter au bloc, souhaitez-vous prévenir quelqu’un ? »

Abasourdie elle sortit son portable pour laisser un message à son mari et malgré son trouble, son angoisse elle prit également le temps de faire un texto à l’amie qui devait récupérer ses enfants si elle n’était pas rentrée.

Puis tout alla très vite, elle fut déshabillée, lavée, préparée pour le bloc où on la conduisit encore éveillée mais où elle s’endormit très vite grâce aux drogues, malgré son cœur qui battait la chamade.

Lorsqu’elle se réveilla dans la soirée, elle était complètement dans le cirage, elle ne souffrait pas, elle ne sentait rien du tout. Son mari était assis près d’elle avec une mine affreuse et un docteur était en train de l’examiner.

Elle croisa le regard du chirurgien qui hocha la tête tristement et lui dit «  je suis désolée, on n’a rien pu faire, on a du couper ».

Sous l’effet des anesthésiants et des drogues antidouleur elle ne réalisa pas immédiatement ce qu’il voulait dire, c’est lorsqu’il souleva le drap qu’elle constata que le pire, elle ne l’avait même pas imaginé…

Ils avaient coupé sa jambe au dessus du genou …

Horrifiée elle sanglota et de suite se mit à se faire des reproches : mais pourquoi s’était-elle remise à fumer alors qu’elle se savait atteinte d’artérite ? Pourquoi avait-elle craqué, de nouveau cédé à l’appel de la nicotine ? Et puis elle fut submergée par les questions matérielles : comment allait-elle vivre avec une demi-jambe ? Comment allait-elle emmener ses enfants faire du roller ?

Son mari pleurait doucement à côté d’elle tout en lui caressant la main.
Le chirurgien parlait, expliquait, racontait mais les mots ne parvenaient pas jusqu’à son cerveau… C’était juste un brouhaha de phrases, de termes techniques, de conseils se voulant rassurant : bla bla bla était tout ce qu’elle entendait.

Le chirurgien parti, le drap enfin remonté sur son moignon elle regarda tristement son mari, comme pour s’excuser d’en être arrivée là. Ils ne se dirent rien, ils se regardaient en se tenant la main, ensemble dans cette épreuve.

Lorsque soudain son cerveau atrophié par la nicotine, lui envoya un message aussi vicieux que clair :

«  On se ferait bien une petite clope non ? Aller une dernière… »

Elle se mit à hurler en sanglotant devant tant de stupidité de son propre esprit, devant les mauvais conseils de celui qui aurait du la protéger de tout cela : son bon sens qui brillait par son absence.

Et dans sa tête résonnait une petite voix qui soufflait «  aller, une dernière pour la route »…

Mais quelle route ?

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9 réflexions sur « De la stupidité des fumeurs »

  1. je pense à toi, et passes un coup de fil quand tu rentres cet am, avec tes deux jambes !!!!!!! et quand tu as envie d’une clope, tu passes à la maison à la place, mauvais pour les oreilles, mais bon pour les artères et le moral !!!

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